LA DEUXIEME VIE DE VALERY GISCARD D’ESTAING

Sa belle longévité a offert à Valéry Giscard d’Estaing un privilège rare pour un dirigeant politique : quarante ans après avoir quitté le pouvoir, sa mort n’intéressait plus les journalistes, elle relevait désormais des historiens. De tous les côtés, et dans tous les pays, la politique européenne de l’ancien président français a été rappelée et louée. C’est son amitié et sa complicité avec le Chancelier Helmut Schmidt qui ont permis la création du Conseil européen, l’élection du Parlement au suffrage universel, comme la création du système monétaire européen, première étape indispensable vers l’euro. C’était déjà beaucoup.

Mais tout un pan de l’action européenne de VGE est resté ignoré. Car, chassé de l’Elysée, il a eu une deuxième vie politique, très largement consacrée à l’Europe. Convaincu que, désormais, c’était là que se prendrait les orientations déterminantes pour l’avenir de la France même, il a voulu revenir au cœur de la machine communautaire, en devenant député européen. Président du groupe libéral et réformateur, puis simple membre du PPE, il a soutenu les premières campagnes démocratiques, à Berlin, quand le mur était raboté mais point encore abattu, en Pologne et en Hongrie. Toujours avec Helmut Schmidt, il a été un lobbyiste inlassable de l’union monétaire, avant le traité de Maastricht, pendant la difficile campagne de ratification, et tout au long de la laborieuse préparation de sa mise en œuvre.

Mais c’est à la présidence de la Convention pour l’avenir de l’Europe, en 2002-2003, qu’il a pu donner toute sa mesure de grand Européen. Il y trouva un rôle à la hauteur de son ambition

pour l’Europe. Si son style irrita autant qu’il séduisit, son savoir-faire fut redoutablement efficace. S’appuyant, quand il le fallait, sur un remarquable présidium, ayant veillé personnellement à s’entourer de ceux qu’il nommait « les meilleurs experts européens de la jeune génération », il resta aussi inflexible sur le cap que souple dans la navigation. Dans les dernières semaines, la guerre d’Irak ayant profondément divisé les gouvernements, il forgea une alliance improbable entre les députés européens et les parlementaires nationaux pour finir par faire approuver le premier vrai projet de traité constitutionnel : le consensus rassembla plus de 200 membres, représentant tous les gouvernements et tous les grands partis de tous les pays membres de l’Union ou candidats à l’adhésion.

Cette apothéose fut hélas de courte durée. Le rejet du traité constitutionnel par les référendums hollandais et français fut vécu par lui aussi douloureusement que son échec national de 1981. Et pourtant, comme en 1981, il laisse derrière lui un legs très riche. Quelques années après, sous une présentation différente, le traité de Lisbonne reprit 95% du projet de la Convention. A l’exception, certes notable, de son régime budgétaire, l’Union a désormais des compétences indiscutées, des institutions stables, et une architecture politique démocratique, inspirée, sans le nom, d’un modèle fédéral parlementaire. La lettre en a changé avant même qu’elle ne s’applique, mais l’esprit de la « constitution Giscard » continuera d’inspirer l’Union pendant encore longtemps.

Quelques semaines avant sa mort, toujours insatisfait, jamais découragé, Valéry Giscard d’Estaing présidait encore les travaux de sa nouvelle fondation, à laquelle il avait donné le nom multilingue « Re-Imagine Europa ». Il s’agissait d’inventer l’Europe de 2040. Les grands hommes ne meurent jamais.

Par Alain LAMASSOURE